Posted: novembre 24th, 2017 | Author: muirne | Filed under: Contes | Commentaires fermés sur Une pinte de douleur liquide
Sers-moi une pinte de douleur liquide. Elle ne sèchera pas ma soif pour un moment de lègereté sous le soleil glacial d’un froid soir de Novembre qui éclaire tous ces pavés. Même s’ils sont cimentés, je pourrais y gîr comme dans un duvet, tout comme dans mon esprit je gîs mort-né. Mais je te le dirais jamais, et toi non plus ne me diras pas tes plaies. On restera déconnectés, nos fusibles pétés par tant de fois qu’on s’est exposés juste pour finir brulés. Mais si, une dernière fois, on réessayait ?
Sers-moi une liqueur brassée dans une eau salée par des années de larmes. Dis-moi tes ombres, je verserais les miennes, et à la tienne on partagera un vin sacré par toi et moi plutôt qu’un dieu, un ange, un roi. Car si aucun d’eux nous sauvera, je préfère me tourner vers toi que vers le ciel ou les seigneurs d’ici-bas.
Posted: janvier 1st, 2017 | Author: muirne | Filed under: Contes | Commentaires fermés sur Il y a des cauchemars dont on ne se réveille pas
Tu ne te souviens même plus de comment ça a commencé. Tu ne sais plus ce qu’il y avait avant… ni même s’il y avait un avant. Devant, des ronces. De chaque côté, un gouffre. Derrière, le sol qui s’effrite et tombe dans le néant. Si tu t’arrêtes, tu meurs. Si tu glisses, tu meurs. Si tu te lèves, le vent te fauche et tu meurs.
Alors tu avances, lentement, le long de la crête sinueuse, le nez dans cette boue battue par les pluies acides. Chaque souffle un râle, chaque mouvement un supplice.
Parfois le brouillard se lève et tu vois, dans l’obscurité, de part et d’autre des gouffres, d’autres étroites crêtes sur lesquelles s’accrochent tes semblables. Et tu aperçois devant toi, à perte de vue, la ligne sinueuse de ta destinée. Cette même torture qui t’attends, sans pause et sans relâche, jusqu’au jour où ta main manquera son appui.
Du ciel, tu entends parfois venir les rires et les chants des anges, en l’honneur de tu ne sais quel Dieu cruel qui a créé ce vaste enfer. D’autres fois, tu entends parvenir des entrailles de la terre les hurlements des damnés. En contrebas, les lames aiguisées des roches t’attendent avec patience, mais tu sais que si tu meurs, une pire torture t’attends.
Il y a des cauchemars dont on ne se réveille pas.
Posted: juin 9th, 2016 | Author: muirne | Filed under: Contes | Commentaires fermés sur Périple en mer
Chaque jour, une tempête déchainée, une lutte acharnée. On serre les dents et on s’attache. Les rambardes s’arrachent. On rêve du soir venu… Jusqu’à ce qu’il vienne. Et là c’est l’œil de l’ouragan. La mer se calme. Le navire se redresse. Les voiles pendent, inertes. Le bois crisse. Derrière, les bouts arrachés flottent à perte de vue. Devant, les nuages sombres de demain se profilent. État des lieux? La coque est pourrie. Les vivres se font rares. L’eau monte. Le moral est bas. Un matelot s’est encore pendu. Une autre a étranglé son voisin. Un dernier s’est jeté par-dessus bord avec un boulet. Ce qu’il reste de l’équipage tente vainement de gérer ce petit merdier flottant. Il maintient le cap. Parce qu’il le faut. Parce que c’est écrit. Parce qu’il ne sait plus quoi faire d’autre. Mais pas par amour de sa mission. Il s’en fiche de ce qu’il y a à l’horizon. Sûrement rien de bon.
Au petit matin, le vent s’est déjà levé. Il y a une barque manquante. Quelques marins sont partis avec pendant la nuit. Au loin, ils rament. Les vagues s’abattent sur eux. Leur coque fuit. Ils se démènent à coups de seau pour vider leur frêle esquif. Leurs muscles brûlent. Leurs têtes tournent. La fatigue est atroce. Ils tanguent. Le bois craque, crie, puis le plancher cède et s’ouvre sous leurs pieds. L’eau s’engouffre. Ils tombent, ils nagent, ils se débattent. Les cœurs scandent. Leurs yeux piquent, prêts à jaillir de leurs orbites. Ils sont plongés sous les flots. Ils retiennent leur haleine. Mais finalement, ils n’en peuvent plus, et un à un, ils inspirent. L’eau se précipite dans leurs bouches. Leurs poumons brûlent. Leurs muscles fournissent un dernier effort, puis lâchent. Enfin, tout devient noir.