On est « troublé-es »

Posted: avril 21st, 2018 | Author: | Filed under: Psyche | Tags: , , | Commentaires fermés sur On est « troublé-es »

Notes après une discussion. Une piètre « défense » de la psychiatrie, non pas par amour, mais par dépit. Elle s’adresse en quelque sorte aux « alternatif·ves », mais pas parce-qu’ielles seraient moins conscient·es de la misère psychique (au contraire).


 

On est « troublé·es ».

On nous dira que c’est la faute à la société capitaliste.

Oui. Mais peut-être qu’on en est aussi conscient·es que n’importe-qui, de ce qu’elle est anxiogène, dépressiogène, qu’elle rend folle et fou. Parce qu’on la subit tous les jours, toutes les nuits. Parce-qu’on est peut-être une définition ostensive (parmis d’autres) de ses maux.

On nous dira de se bouger le cul et d’aller changer le monde, si on l’aime si peu.

Mais peut-être qu’on a du mal. Pas qu’on soit retranché·es dans une apathie complète : on doit bien se battre chaque jour, pour le contrôle de notre esprit. Certes, c’est une guerre individuelle, et donc surtout pas une raison de ne pas penser à la guerre sociale, mais c’est l’ébauche d’une explication. Si elle était comprise, on aurait moins de mal, justement, à la dépasser.

Et peut-être qu’on ne trouve pas notre compte dans les réseaux militants. Peut-être qu’on est trop paralysé·es par des phobies, sociales ou autres, par des années de brimades. Peut-être qu’on est déjà assez entravé·es par ça dans la vie quotidienne, que se taper une réunion, bon. Quand la moindre discussion est pénible, les jeux de pouvoir informels paraissent aussi avenants qu’une hiérarchie militaire.

On nous dira de changer notre vie, si on l’aime si peu.

On nous dira de changer de boulot, comme si c’était simple ; de sortir de notre grotte, comme si le monde extérieur était beau ; de revoir notre vie de A à Z, comme si on n’y avait pas déjà pensé. On nous dira d’aller vivre « sainement », « simplement », en « accord » avec nous-mêmes ou (rires) la nature.

Mais peut-être qu’on a pas les moyens de se barrer. Peut-être que de toute façon on n’a pas vraiment le choix. Et peut-être qu’on ne croit pas du tout à cette vie-là non plus.

On nous dira de se passer de médicaments.

On nous dira de le faire parce-qu’ils ne sont « pas naturels », parce-qu’ils sont fabriqués par de grands groupes pharmas, parce-qu’ils nous transforment en moutons, parce qu’ils détruisent notre individualité.

Mais peut-être qu’on ne se passe pas de cachets parce-qu’une paranoïa psychotique c’est pire que la fois où t’as badé en teuf, et c’est chaque jour, si on s’en passe. C’est pas mignon, c’est pas un petit truc qui nous rend « spécial » ou « intéressante ». On se l’appropriera, oui, mais comme bon nous semble. Et on choisira comment le gérer.

Et peut-être qu’on ne se passe pas de cachets parce-qu’à chaque crise d’angoisse on croit qu’on va mourir. Ou parce-que tous les soirs on croit qu’on veut mourir. Ou parce-que c’est tout ce qu’on a à portée de main. Parce-que ça nous aide.

On nous suggérera des homéopathies ou des livres spirituels.

Mais peut-être qu’on pense que c’est de pires arnaques que tout le reste combiné.

On a nos doutes.

On sait que les « soins » classiques ne sont pas géniaux. On sait qu’abuser de xanax pendant des années nous bouffera le cerveau et nous laissera vides et tremblotants. On sait que prendre un antidép ne changera pas les choses qui nous pèsent. Ça ne dissoudra pas une misère sociale ou économique. Ça ne terminera pas une scolarité qui déterminera notre vie, un boulot qui finit par devenir notre vie, un patron qui gère cette vie, une famille qui tombe en pièces ou un isolement social.

On n’est pas entièrement dupes. On a été dans des locaux peints en blancs avec des barreaux aux fenêtres. On s’est rangé en file indienne pour avaler notre loxapac pour éviter de se le prendre en piqûre dans la fesse. On est allé demander notre « si besoin », parce-que franchement on avait besoin de quelque-chose, et c’est tout ce qu’il y avait.

Mais peut-être que les équipes de psychiatrie nous ont aussi aidées. Peut-être que c’est les seul·e·s qui étaient là pour nous.


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